Rendre un avis sur la mise en place du télétravail
Le télétravail est une forme dérogatoire d’organisation du travail. Sa mise en place pose des questions importantes sur le suivi de la charge de travail, la santé, la rémunération, etc. Le comité social et économique doit s’assurer du respect des droits des salariés placés en télétravail.
Analyse
1) L’obligation de consultation préalable
Le télétravail est un mode particulier dérogatoire d’organisation du travail. Le salarié est amené, pendant tout ou partie de son temps de travail, à rester à son domicile, d’où il accomplit ses missions contractuelles. Il continue à être soumis aux obligations classiques de temps de travail, de loyauté, etc., mais n’a pas à se rendre dans les locaux de l’entreprise.
Le Code du travail ne vise pas expressément le cas du placement en télétravail parmi les cas de consultations obligatoires du comité social et économique (CSE). Néanmoins, les élus du CSE doivent bien être informés et consultés préalablement à toute décision de recours au télétravail.
Cette obligation est issue du Code du travail lui-même qui impose de consulter le comité sur les mesures envisagées intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, particulièrement en cas de mesures de nature à affecter les conditions d'emploi et de travail. La direction générale du travail rappelle que le CSE doit être associé à la définition des tâches télétravaillables et des modalités pratiques du télétravail.
En conséquence, un employeur qui met en place du télétravail au sein de l’entreprise sans avoir recueilli au préalable un avis du CSE commet par principe un délit d’entrave au fonctionnement régulier du comité. Et si aucune procédure de consultation n’a été ouverte, les élus peuvent agir en justice pour obtenir le lancement de cette procédure, mais aussi la suspension du déploiement du télétravail tant que l’avis du comité n’est pas rendu !
Une fois le principe même du recours au télétravail ayant donné lieu à consultation, une seconde consultation est nécessaire lorsque l’employeur met en place une charte sur le télétravail. Cette charte n’est pas obligatoire, le télétravail pouvant être encadré par un accord d’entreprise, voire par un simple avenant au contrat signé entre l’employeur et le salarié concerné. La loi impose un contenu minimal pour la charte ou l’accord :
- conditions de passage en télétravail et retour au travail en présentiel ;
- cadre de l’accord du salarié ;
- contrôle du temps de travail ;
- plages horaires pour le contact du salarié en télétravail ;
- accès aux travailleurs handicapés ;
- accès aux salariées enceintes ;
- accès aux salariés aidants d’un enfant, d’un parent ou d’un proche.
2) Le recueil des informations
Comme toute consultation, les élus du CSE doivent bénéficier d’informations précises au début de la procédure d’information-consultation. Puis l’employeur doit aussi fournir des réponses motivées aux observations des élus. Ce n’est qu’une fois toutes les obligations de l’employeur respectées que les élus vont être amenés à rendre un avis.
Le passage d’un travail au sein de locaux professionnels à du télétravail soulève de nombreuses interrogations pour lesquelles les élus peuvent demander à bénéficier d’éléments concrets. On peut ainsi lister :
- le nombre de salariés pour lesquels le passage au télétravail est envisagé ;
- le motif à l’origine du passage au télétravail, notamment si la demande provient des salariés ou de l’employeur ;
- le budget dédié à l’accompagnement des salariés placés en télétravail (formation, versement d’indemnités, acquisition de matériels, mise à jour du réseau informatique et sécurisation, etc.) ;
- les modalités de suivi du temps de travail et de charge de travail ;
- les impacts sur la rémunération des salariés (primes, prise en charge des abondements, avantages en nature, etc.). Par exemple, le sort de la prise en charge des frais de repas. Les juges ont ainsi autorisé l’employeur, suite à une fermeture temporaire d’une cantine d’entreprise, à verser une indemnité uniquement aux salariés sur site. À l’opposé, le ministère du Travail considère que les titres-restaurants mis en place dans l’entreprise doivent bénéficier aux salariés sur site comme aux salariés en télétravail ;
- l’organisation du travail pour les salariés non placés en télétravail ;
- les conditions permettant à un salarié volontaire d’obtenir le passage en télétravail et les conditions permettant à un salarié volontaire de cesser le télétravail ;
- les modalités d’organisation des réunions des représentants du personnel avec les élus en télétravail, plus généralement les modalités d’exercice du mandat en situation de télétravail ;
- les modalités permettant aux élus de communiquer avec l’ensemble des salariés placés en télétravail (autorisation d’utilisation de la messagerie professionnelle, temps d’information mensuel dédié, etc.) ;
- la prise en compte dans le document unique des problématiques particulières en matière de risques professionnels (temps de travail derrière écran accru, TMS, posture sur poste de travail inadapté, RPS, etc.) ;
- les économies dégagées au sein de l’entreprise grâce au passage au télétravail ;
- les contrôles du travail des salariés (contrôles des temps de connexion aux serveurs, obligation de participation à des visioconférences, etc.) et la modification éventuelle du règlement intérieur ;
- les conséquences environnementales du passage au télétravail ;
- etc.
Les élus doivent veiller à se voir remettre les informations suffisantes pour rendre un avis éclairé sur le recours au télétravail au sein de leur entreprise.
3) Être force de proposition
À partir du projet initial présenté par l’employeur et des premières informations obtenues de sa part suite aux questions posées en réunion, les élus ont la possibilité de passer du rôle d’observateur à celui de force de proposition.
En fonction :
- du ressenti général des salariés face au télétravail ;
- des premières expériences déjà menées le cas échéant dans l’entreprise ;
- de la nature des activités de l’entreprise ;
les élus doivent pouvoir interpeller l’employeur sur certains points-clés ; l’objectif est de mettre en place une organisation du travail efficace pour l’accomplissement du travail tout en étant protectrice des droits des salariés et de leur santé. Sans oublier que cette organisation du travail ne doit pas faire obstacle à l’exercice de la mission de représentant du personnel, auprès des salariés comme de l’employeur !
Par exemple, les élus peuvent travailler sur des propositions d’adaptations des locaux existants ou d’acquisition de nouveaux locaux pour répondre aux problématiques mises en avant par l’employeur pour motiver son recours au télétravail.
Autre idée : développer une commission dédiée chargée du suivi des salariés placés en télétravail, en particulier des problématiques portant sur leur santé et sur le management. À ce titre, les élus ont la possibilité de s’appuyer sur des documentations produites par l’INRS sur le travail isolé.
Mise en pratique
Lorsque les élus du CSE sont alertés d’un projet envisagé par l’employeur de recourir au télétravail, ils doivent demander à être informés et consultés sur ce projet. C’est au secrétaire de demander l’inclusion de ce point à l’ordre du jour d’une prochaine réunion du CSE, sur le fondement de la compétence générale du comité décrite dans l’article L. 2312-8 du Code du travail. Par exception, lorsqu’un accord d’entreprise est négocié entre l’employeur et les délégués syndicaux sur le télétravail, l’employeur est dispensé de procéder à une information-consultation du CSE préalablement à la signature de cet accord. Les élus sont fondés, à notre sens, à demander une nouvelle consultation lorsque de nouveaux postes de l’entreprise ou de nouveaux services font l’objet d’un placement en activité partielle.
Une procédure d’information-consultation sur le télétravail vient croiser, pour les élus, des notions purement financières, des notions de gestion RH et des notions de protection de la santé et de la sécurité des salariés. Face à toutes ces dimensions, les élus peuvent se trouver noyés. D’où la nécessité bien souvent d’opter pour un accompagnement par un ou plusieurs experts lors d’une consultation sur le télétravail. Les élus ont le choix quant aux experts pouvant les accompagner mais les coûts d’expertise doivent être payés intégralement sur le compte de fonctionnement du comité.
Les besoins des élus les conduisent en général à choisir un expert-comptable pour apporter un éclairage sur la validité économique du projet, un expert habilité en santé-sécurité pour notamment mener une étude des conséquences du passage au télétravail sur la santé des salariés, voire un expert en immobilier pour déterminer les réelles économies dégagées par l’entreprise et estimer d’autres scénarios d’adaptations des locaux de travail. Au-delà de l’aide technique essentielle apportée par les experts, les élus validant lors de la première réunion de la procédure de consultation le choix de faire appel à un expert obtiennent un report du délai maximal qui leur est offert pour rendre un avis sur le projet. Ce délai passe de 1 mois à 2 mois, faute d’avoir négocié avec l’employeur un délai plus long sur cette consultation.
Une fois le télétravail en place dans l’entreprise, l’employeur doit informer régulièrement les élus de son exécution et de ses conséquences pour les salariés. Les élus ont l’occasion de rendre un avis sur ce sujet dans le cadre tant de la consultation obligatoire récurrente sur la politique sociale de l’entreprise que de la consultation obligatoire récurrente sur les orientations stratégiques de l’entreprise.
Aux élus de réfléchir entre eux au meilleur moyen de maintenir un lien direct avec les salariés placés en télétravail. Liens pour les activités sociales et culturelles, mais aussi liens pour la diffusion des informations économiques de l’entreprise et l’échange sur les problématiques rencontrées, en intégrant aussi la difficulté supplémentaire liée parfois à la présence d’élus parmi les salariés placés en télétravail. Les élus en télétravail conservent bien leurs droits à heures de délégation, leurs droits à déplacement et leurs droits à assister aux réunions du CSE s’ils sont titulaires.
Références aux textes officiels
C. trav., art. L. 1222-9 (définition et mise en place du télétravail), L. 1222-10 (droits particuliers du télétravailleur), L. 1222-11 (cas particuliers des circonstances exceptionnelles et force majeure), L. 2312-8 (champ de compétence générale du comité), R. 2312-6 (délai de remise de l’avis)
CA Paris, 21 décembre 2023, n° 20/05912 (obligation de versement d’une indemnité d’occupation en cas de télétravail sur demande du médecin du travail)
Cass. soc., 24 avril 2024, n° 22-18.031 (différence de traitement autorisé entre télétravailleurs et salariés sur site)