Licenciement disciplinaire fondé sur des images issues de vidéosurveillance : un moyen de preuve licite ?
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Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.
Dans le secteur du BTP, les entreprises sont de plus en plus incitées à mettre en place des systèmes de vidéosurveillance que ce soit dans les dépôts/magasins de l’entreprise ou encore sur chantiers. Ces dispositifs, généralement mis en place pour lutter contre le vol, entraînent parfois un contrôle de l’activité des salariés. Les preuves qui découlent de la mise en place de ces dispositifs peuvent-elles être utilisées dans le cadre d’une procédure disciplinaire ?
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Système de vidéo-surveillance : les formalités administratives à respecter
Le système de vidéosurveillance entrainant la collecte de données personnelles, les règles relatives au RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) sont applicables. Préalablement à sa mise en œuvre, vous devez ainsi :
- inscrire le dispositif dans le registre de traitement des données ;
- associer, s’il y en a un, le délégué à la protection des données (DPO) à la mise en œuvre de ce dispositif ;
- réaliser une étude d’impact si le dispositif implique une surveillance à grande échelle de zones accessibles au public ;
- respecter la vie privée des salariés et mettre en place un dispositif proportionné au but recherché : ainsi, le dispositif ne doit pas filmer les salariés sur leurs postes de travail sauf circonstances particulières. De la même manière, la surveillance ne doit pas être permanente, sauf circonstances particulières ;
- informer préalablement les salariés et le CSE de la finalité du dispositif, de la durée de conservation des images, du nom, de la qualité et le numéro de téléphone du DPO, de l’existence de droits « informatique et libertés », du droit d’introduire une réclamation auprès de la CNIL en précisant ses coordonnées, de la base légale du traitement ou encore des destinataires des données.
Il est important de préciser que l’employeur n’a aucune obligation d’informer les salariés de la présence d’un système de vidéosurveillance lorsqu’il est installé dans des locaux dans lesquels les salariés ne travaillent pas ou auxquels ils n’ont pas accès (Cass. soc., 31 janvier 2001, n° 98-44.290).
Qu’en est-il des caméras installées par les clients à proximité des chantiers ? Si cette caméra est installée dans des locaux auxquels les ouvriers n’ont pas à accéder, l’employeur n’est pas tenu de les informer. De plus, les enregistrements vidéo de la caméra peuvent être utilisés comme moyen de preuve sans information préalable des salariés.
Dans le cas contraire, l’information des salariés est obligatoire.
Système de vidéosurveillance : l’utilisation à titre de preuve
La problématique se pose généralement lorsque le CSE et/ou les salariés n’ont pas été informés préalablement de l’existence de ce dispositif de contrôle dans les lieux de travail et qu’une procédure disciplinaire basée sur les images découlant de ces enregistrements est mise en œuvre.
Par principe, toutes preuves découlant d’un système de vidéosurveillance mis en place sans information préalable des salariés sont illicites.
Ce principe doit toutefois aujourd’hui être nuancé.
La chambre criminelle considère tout d’abord qu’ « aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens produits au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite » (Cass. crim., 6 avril 1994, n° 93-82.717).
La chambre sociale est également en train d’assouplir sa jurisprudence en admettant certaines preuves illicites. Les trois arrêts de la Cour de cassation du 8 mars 2023 en sont une nouvelle illustration.
En effet, dans ces 3 affaires, la Cour de cassation considère qu’ « une preuve illicite peut être utilisée mais sous réserve que son irrecevabilité porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble ».
Plus particulièrement, « le juge du fond doit apprécier si l’utilisation de cette preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit de la preuve ». Ainsi, l’employeur peut justifier « la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit de la preuve et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Dans la première affaire, un chauffeur de bus porte plainte pour vol de tickets. Son employeur transmet alors à la police les images de vidéoprotection du véhicule. Suite à cela, la police établit un procès-verbal dans lequel il est constaté que le salarié avait téléphoné et fumé au volant. L’entreprise licencie alors ce salarié pour faute grave. La Cour de cassation considère que le principe affirmé ci-dessus n’est pas respecté et que la preuve reste illicite dans la mesure où notamment la charte interne de l’entreprise interdisait l’utilisation de vidéos dans le cadre de procédures disciplinaires. Les images ont été transmises à la police au mépris de cette même charte (vol de ticket sans violences) mais surtout le procès-verbal a été transmis dans le cadre informel des relations de l’employeur avec la police.
Dans la seconde affaire, une prothésiste ongulaire est licenciée pour faute grave suite à des détournements de fonds et soustractions frauduleuses. La Cour de cassation confirme le caractère illicite du système de vidéosurveillance installé sans information de la salariée dans la mesure où la preuve aurait pu être établie par d’autres moyens (irrégularités comptables) qui n’ont pas été évoqués dans la lettre de licenciement.
Enfin, dans la troisième affaire, un analyste métier est licencié pour faute grave en raison d’une fraude « par déclarations erronées du temps de travail ». La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel requalifiant le licenciement pour faute en considérant que la cour d’appel aurait dû vérifier si la preuve certes illégale n’était pas indispensable à l’exercice du droit de la preuve de l’employeur et si l’atteinte au respect de la vie personnelle du salarié n’était pas proportionnée au but recherché.
Autrement formulé, l’illicéité d’une preuve issue d'une vidéosurveillance n’entraine pas automatiquement son rejet. Tout dépendra des circonstances de faits qui seront appréciées par les juges du fond : la gravité de la faute, le caractère proportionné de l’atteinte au salarié ou encore la capacité de preuve de l’employeur par un autre moyen seront déterminants.
Cour de cassation, chambre sociale, 8 mars 2023, n° 20-21848, n° 21-20798, n° 21-17802 ((une preuve illicite n’est pas rejetée des débats si sa production est indispensable à l’exercice de ce droit à preuve)
Responsable RH dans une entreprise du secteur du BTP
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