Chantiers du BTP : quelle latitude offerte à l’employeur pour contrôler les trajets accomplis avec un véhicule de service ?
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Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.
Une décision rendue le 22 mars 2023 par la Cour de cassation constitue un parfait alibi pour évoquer l’encadrement par l’employeur des déplacements de ces salariés affectés à des chantiers. La difficulté est connue : fournir des véhicules de service permet d’éviter d’indemniser les coûts de transport et, parfois, le paiement du temps de trajet. Mais le risque existe qu’un salarié utilise à des fins privés le véhicule de l’entreprise. Illustrations des risques et possibilités offertes à l’employeur en matière de contrôle.
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Trajets des salariés vers les chantiers : la limite de la liberté de déplacement avec le véhicule de service
Pour éviter les coûts liés à l’utilisation du véhicule de service à des fins privées, pourquoi ne pas encadrer de façon stricte son utilisation ?
Exemple
Interdire l'utilisation du véhicule professionnel à des fins personnelles en se rendant sur un autre lieu que le chantier, le dépôt ou une station-service comportant des commodités situées à proximité du chantier.
De telles restrictions, inscrites dans un règlement intérieur ou une note de service, permettraient alors de sanctionner disciplinairement le salarié utilisant le véhicule de service à d’autres fins lors de ces déplacements sur chantiers. Un contrôle des kilomètres réalisé à partir d’un outil de géolocalisation serait à même d’apporter la preuve du non-respect par le salarié des limites posées par l’employeur.
A notre sens, de telles restrictions ne poseraient pas de problème juridique particulier lors de chantiers réalisés en petits déplacements.
Quid du grand déplacement ? Peut-on prévoir l’interdiction d’utiliser le véhicule professionnel pour des trajets autres que ceux nécessaires pour se rendre sur le chantier, sur les lieux de restauration et le lieu de couchage ? Interdisant par là même toute possibilité pour le salarié de choisir de rentrer à son domicile.
Attention
Ce sont les juges qui vont devoir déterminer si cette interdiction est abusive. Et tenir compte du motif ayant conduit le salarié à ne pas respecter les consignes de l’employeur. La Cour de cassation imposant aux juges du fond de procéder à cette recherche, même si l’employeur justifie l’interdiction par les frais supplémentaires causés par des trajets personnels et les risques liés à la fatigue. L’employeur doit donc analyser les conditions des manquements du salarié avant d’envisager de le sanctionner. Revenir chaque soir pour s’occuper de sa mère malade ? La Cour de cassation suggère que ce motif peut entraîner la disproportion de l’interdiction et remettre en cause toute sanction disciplinaire. Encore faut-il que l’employeur soit au courant de ce motif. Sur ce point précis, la Cour de cassation reste étrangement évasive dans sa décision du 22 mars 2023. Il faudra suivre l’évolution de sa jurisprudence pour vérifier si le salarié peut obtenir ou pas l’annulation de la sanction même en l’absence d’information donnée à l’employeur sur les raisons justifiant les manquements.
Trajets des salariés vers les chantiers : la limite du contrôle par la géolocalisation
Lorsqu’une entreprise met à disposition de certains salariés un véhicule de service, il est naturel d’envisager d’y insérer un outil de géolocalisation.
L’idée : retrouver le véhicule en cas de vol, suivre les kilométrages pour gérer l’entretien du véhicule, etc.
Une procédure doit être respectée pour mettre en place la géolocalisation sur un véhicule appartenant à l’entreprise. Créer une note de service dédiée ou insérer une clause dans le règlement intérieur. Puis il faut consulter les représentants du personnel, informer individuellement les salariés, respecter les conditions propres à la RGPD. Notamment en ne conservant les données que sur une durée raisonnable et en limitant leur accès à certaines personnes habilitées.
Dans le cadre de l’utilisation du véhicule de service par un salarié pour se rendre quotidiennement sur les chantiers, la géolocalisation pourrait être aussi très intéressante pour suivre les déplacements du salarié et éviter tout abus.
Question : cette utilisation de la géolocalisation pour contrôler les déplacements des salariés est-elle licite compte tenu des restrictions apportées aux principes de liberté de déplacement ou de protection de la vie privée ? Si le contrôle s’opère uniquement sur le temps de travail, cette utilisation pourrait être licite. S’il s’opère aussi hors temps de travail, l’article L. 1121-1 du Code du travail entre en scène : « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
L’employeur pourrait-il justifier l’utilisation de la géolocalisation hors temps de travail en s’appuyant sur son obligation de protéger la santé des salariés de chantiers ? C’est ce qui a été tenté par un employeur qui a sanctionné un salarié ayant réalisé des trajets de plus de 250 kilomètres par jour pour des raisons personnelles et hors de son temps de travail en utilisant le véhicule de service mis à sa disposition. Sanction reposant sur les données collectées par la géolocalisation.
Avis de l’expert :
Réponse donnée par la Cour de cassation dans une décision du 22 mars 2023 : la collecte des données de géolocalisation ne peut pas servir à contrôler le salarié en dehors de son temps de travail dans ce cas de figure. Si cette décision concerne une entreprise du secteur de la propreté, elle semble pouvoir être transposée dans le secteur du BTP. Une sanction fondée sur l’utilisation illicite du véhicule de service hors temps de travail ne peut donc pas reposer sur la preuve apportée par les données de géolocalisation du véhicule.
Cour de cassation, chambre sociale, 22 mars 2023, n° 21-24.729 (la collecte des données de géolocalisation installé sur le véhicule professionnel mis à disposition du salarié, destiné à la protection contre le vol et la vérification du kilométrage ne peut pas servir à contrôler le salarié en dehors de son temps de travail)
Expert en droit du travail et relations sociales, www.didrh.fr
Auteur des documentations SOCIAL BATIMENT, SOCIAL TRAVAUX PUBLICS et RESPONSABLE ET GESTIONNAIRE PAIE BTP pour les Editions Tissot. Formateur en droit du travail auprès des entreprises et des …
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