Conflit éthique environnemental au travail : une problématique qui prend de l’ampleur

Publié le 14/05/2024 à 13:45 dans Risques psychosociaux.

Temps de lecture : 4 min

Thomas Coutrot, chercheur à l’Institut des recherches économiques et sociales (IRES), a publié une étude dédiée aux conflits éthiques environnementaux au travail. Bien qu’encore relativement rares, ces conflits risquent de devenir de plus en plus fréquents dans un contexte de conscience environnementale grandissante.

Conflit éthique environnemental au travail : de quoi parle-t-on ?

Si les conflits de valeur au travail font déjà l’objet d’une littérature abondante, peu de travaux s’étaient jusqu’à présent penchés sur la question des conflits éthiques à caractère environnemental.

Ces derniers sont caractérisés lorsqu’un travailleur ressent un conflit éthique en raison des conséquences environnementales liées à son travail ou à son secteur d’activité.

Thomas Coutrot, chercheur à l’IRES, apporte un premier éclairage sur cette problématique dans une étude publiée le 14 décembre 2023. Il se fonde, pour cela, sur les résultats de l’enquête « Conditions de travail de 2019 » réalisée par la DARES qui avait notamment mis en exergue que 31 % des actifs occupés estimaient que leur travail pouvait « avoir des conséquences négatives pour l’environnement ».

Le chercheur distingue deux types de conflits éthiques environnementaux :

  • les conflits éthiques environnementaux directs, liés aux conséquences négatives directement perceptibles de certaines activités (ex : les émissions toxiques générées par les usines ou chantiers) ;
  • les conflits éthiques environnementaux fonctionnels, liés aux conséquences négatives indirectement ressenties de certaines activités. L’étude cite notamment les activités de publicité, marketing ou encore d’innovation.

Les conflits éthiques environnementaux au travail sont encore relativement rares (moins de 10 % des travailleurs). Néanmoins, Thomas Coutrot note qu’ils peuvent affecter significativement les perspectives de carrière des salariés concernés en favorisant notamment les projets de reconversion professionnelle.

Quelles sont les professions les plus concernées par le conflit éthique environnemental ?

Les hommes, les personnes peu diplômées ou détentrices de faibles revenus ainsi que les étrangers et intérimaires signalent plus fréquemment que leur travail entraîne des conséquences négatives directes sur l’environnement.

Le chercheur indique cependant que cette répartition semble davantage liée aux mécanismes d’attribution du “sale boulot” que d’une sensibilité a priori de ces personnes à la question environnementale. En effet, les tâches polluantes et dangereuses sont, en pratique, plus souvent attribuées à ces catégories de travailleurs.

Les conflits fonctionnels concernent, quant à eux, majoritairement des professions très qualifiées du bâtiment, de la communication, du marketing ou de la vente. Les professionnels de la communication ou du spectacle, les chercheurs, les ingénieurs et cadres du BTP et les cadres commerciaux sont particulièrement concernés.

De manière générale, le fait de disposer d’une faible autonomie dans le travail est associé à un plus fort risque de survenue d’un conflit éthique environnemental, de même que le manque de soutien des collègues en cas de difficulté ou le manque de coopération. Par ailleurs, une présence syndicale ou d’un CSE, d’une CSSCT, une prévention des risques de qualité (élaboration d’un document unique) ainsi qu’une bonne connaissance du travail réel par les managers et préventeurs jouent dans le sens d’une réduction du risque de conflit éthique environnemental.

Quelles conséquences sur la santé des travailleurs concernés ?

L’étude met en exergue que le conflit éthique environnemental dégrade la soutenabilité du travail et atteint également la santé des travailleurs.

En effet, en raison des conditions de travail délétères associées au conflit éthique environnemental, les accidents du travail sont près de deux fois plus fréquents dans ce cas (17 % au cours des 12 derniers mois contre 9 % pour les travailleurs qui disent ne jamais considérer leur travail nuisible).

Concernant la santé psychique, l’analyse révèle « des différences surprenantes selon l’âge des répondants ». En effet, pour les jeunes (15-29 ans), aucun lien significatif n’apparaît entre conflit éthique environnemental et le fait de présenter un symptôme dépressif. Les 30-49 ans semblent toutefois davantage concernés par la « souffrance éthique environnementale ». Cependant, les conséquences environnementales du travail et les risques psychosociaux constituent encore un domaine de recherche émergent et ces résultats doivent donc être considérés avec précaution.


DARES, Revue travail et emploi, Le conflit éthique environnemental au travail : une première analyse empirique à partir de l’enquête Conditions de travail 2019, 14 décembre 2023

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Clara Godin

Juriste, rédactrice en droit de l’environnement et santé-sécurité au travail

Titulaire du Master 2 en droit de l’environnement de l’Université Paris-Saclay, j’ai d’abord exercé en bureau d’études en tant que juriste consultante hygiène-sécurité-environnement (HSE). J’exerce …