Comment apporter la preuve du harcèlement moral ?
Il n'est pas évident d'apporter la preuve du harcèlement moral, surtout que le salarié est bien souvent fragilisé sur un plan psychologique et qu'il faut par hypothèse non pas un fait mais une multitude de faits qui se répètent.
Le salarié a tendance à se remettre en question, à douter de ce qui lui arrive réellement et à s'en sentir responsable.
Bien souvent, d'ailleurs, ne pouvant plus affronter les événements, il doit être écarté de l’entreprise et se trouve placé en arrêt maladie. Situation qui rend encore plus difficile la production de preuves.
En principe, en matière prud’homale, la preuve est libre. Ce principe posé par la jurisprudence souligne la fragilité du salarié face à l’employeur, ce qui lui permet de disposer d’une plus grande liberté dans l’administration de la preuve.
Le législateur lui-même intervient, tantôt pour renverser la charge de la preuve, tantôt pour l’aménager. C’est notamment le cas en matière de preuve de harcèlement.
En réalité, le Code du travail ne fait pas peser la charge de la preuve sur les épaules du salarié. Au contraire la loi prévoit un aménagement de cette preuve où le salarié a un rôle précis. Il doit seulement « présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ».
L’administration de la preuve se fait donc en trois étapes.
Le salarié victime doit présenter des éléments de faits.
En pratique, le salarié victime devra se constituer un dossier, garder toute trace écrite des mails, courriers, textos, reçus en interne ou à son domicile.
En cas d’agissements verbaux (formulés de vive voix par le harceleur ou par téléphone), le salarié aura intérêt à adresser à l’auteur des faits, un courrier récapitulant par écrit les propos tenus afin d'en garder la trace écrite et de le forcer ainsi à réagir. Parallèlement, il adressera une copie à l’employeur pour le saisir de la situation.
Il faut néanmoins que ces éléments de faits soient de nature à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral. En d'autres termes, il faut qu'au vu des éléments rapportés par le salarié, de leur concordance et de leur importance, le juge estime qu'ils suffisent à caractériser une présomption de harcèlement que l'employeur devra ensuite renverser.
C’est la deuxième étape qui est confiée au juge.
Le juge vérifie la matérialité des faits et décide si cet ensemble de faits laisse supposer un harcèlement.
Le juge va tout d’abord vérifier que les faits présentés par le salarié sont matériellement établis. Il doit donc écarter les affirmations non fondées, les impressions subjectives, les attestations de personnes qui rapportent les déclarations du salarié sans avoir été témoins des faits, etc.
Une fois qu’il en a vérifié la réalité et la matérialité, le juge doit dire si ces éléments pris dans leur ensemble laissent présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral. Cette phase relève de l’intime conviction du juge. Le juge doit apprécier ces éléments dans leur ensemble pour en apprécier la cohérence et la concordance : c’est ce qui justifie la présomption.
Des éléments de faits non suffisants ne permettront pas d'emporter cette présomption. Ainsi la constatation d'une altération de l'état de santé du salarié n'est pas, à elle seule, de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement.
Si les juges estiment que les faits présentés par le salarié ne sont pas établis matériellement ou qu’ils ne font pas naître une présomption de harcèlement, l’affaire s’arrête là et l’employeur n’aura rien à prouver. Dans le cas contraire, l’employeur devra renverser la présomption constatée par les juges.
Si la présomption est admise par les juges, l’employeur doit prouver que les faits sont étrangers à tout harcèlement.
L’employeur devra alors justifier ses agissements en apportant la preuve que ses décisions et les mesures litigieuses s’expliquent par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Cette explication se fait en reprenant les faits dans leur ensemble afin de faire reconnaître par les juges, une lecture positive de la situation.
Pour la jurisprudence, ce régime d’aménagement de la preuve n’est pas applicable lorsque survient un litige relatif à la mise en cause d'un salarié auquel sont reprochés des agissements de harcèlement sexuel ou moral. En clair, lorsque l’auteur des faits de harcèlement est un salarié, la preuve des faits fautifs est libre et n’obéit pas à la règle probatoire aménagée.
À noter que, pendant plusieurs années, l’employeur était jugé responsable du seul fait de la survenue d’une situation de harcèlement au sein de l’entreprise, ceci même s’il avait immédiatement réagi pour le faire cesser. Mais la jurisprudence a un peu évolué sur cette question.
Désormais, la Cour de cassation juge que « ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par [le Code du travail] et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».
En d’autres termes, l’employeur qui démontre que non seulement il a immédiatement pris les décisions appropriées pour faire cesser une situation de harcèlement, mais qu’il avait, en amont de cette situation, pris toutes les mesures de prévention et notamment des actions d'information et de formation appropriées, pourra échapper à une condamnation.